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Lexique, industrie, commerce
28 décembre 2021

Le «Lubin», la comédie de Justine Favart et la colline de Spa

En souvenir d’Albin Body.

Le catalogue de 1904-1905 du Val-Saint-Lambert propose, au premier fascicule, parmi les Dessins des modèles de verres et vaisselles, le service « Lubin », sous le n° 184.

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Illustration 1. – Val-Saint-Lambert, catalogue 1904-1905

 

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Illustration 2. – Val Saint-Lambert. Modèle « Lubin ». Coll. privée. Cliché Alice Piette.

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Illustration 3. – Val Saint-Lambert. Modèle « Lubin », détail. Coll. privée. Cliché Alice Piette. 

 

L’origine de l’appellation est évidente et entraîne inévitablement vers Spa. Ce n’est pas ici l’endroit de revenir en détail sur la longue histoire d’Annette et Lubin, qui remonte au 18e siècle, quand Jean-François Marmontel, en 1761, en fit les sujets d’un « conte moral » qui jouit immédiatement d’un immense succès (illustration 4).

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Illustration 4. – Gravure de Hubert-François Gravelot (1699-1773) d’après un dessin de Joseph de Longueil (1730-1792) pour illustrer le conte Annette et Lubin de Marmontel. Cambridge, Harvard University, Fogg Art Museum, Wikimedia Commons.

 

Le thème, purement anthropologique, était celui des amours coupables d’un cousin et d’une cousine dont la relation « contre nature » engendrait un enfant voué à la réprobation du public. L’emprunt du récit à un fait d’actualité survenu à Spa a été discuté. La question nous importe peu ici, même si un document du temps associe l’épisode à deux « intéressants villageois » de « Cormeil en Parisis » qui auraient fourni à Marmontel le « parfait modèle de l’amour conjugal » (illustration 5). La gravure mentionne, au bas de celle-ci, deux médaillons qui représentent « leurs portraits actuels dessinés d’après nature ». Elle rappelle par ailleurs que « la touchante anecdote » a aussi donné lieu à « l’aimable comédie de Mme Favart », dont il sera question ci-dessous.

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Illustration 5. – Annette et Lubin peint et gravé par Philibert-Louis Debucourt (1755-1832). L’oeuvre a été réalisée à l’occasion des secours apportés par des « âmes sensibles » aux supposés Annette et Lubin, que des « circonstances malheureuses jointes à la rigueur de l’hiver dernier ont réduit à la plus dure nécessité » (18e siècle, Bibliothèque nationale de France, Gallica).

 

On se bornera aux évocations de la légende d’Annette et Lubin qui ont pu, vers 1900, mettre en évidence leur actualité puisqu’il s’agit ici de lier celle-ci au choix d’une désignation commerciale. Mais il va de soi que la tradition attachée au nom de Lubin suffirait à elle seule à justifier ce choix, pour un produit réalisé dans la région liégeoise, en particulier quand cette production s’avère relativement luxueuse.

Pour le grand public de l’époque et spécialement pour les étrangers qui prenaient les eaux de Spa, [1] les noms d’Annette et Lubin sont associés au sommet de la colline où était située la feuillée ou cabane qui aurait anciennement abrité leurs amours. La « colline d’Annette et Lubin » était un des hauts-lieux de la visite des bobelins. La gravir faisait partie des rituels d’un séjour spadois accompli. Il faut dire que la « promenade » requérait un certain effort : la côte d’Annette et Lubin, qui fait toujours partie aujourd’hui d’un parcours défiant les marcheurs, s’étend sur plus de 90 mètres pour une pente moyenne de plus de 10 %, avec des pentes de plus de 13 % (illustrations 5-6-7).

 

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Illustration 6.

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Illustration 7.

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 Illustration 8. – Le parcours de l’ascension de la colline d’Annette et Lubin, d’après le site ClimbFinder. 

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Illustration 9. – Enfin au sommet… au début du 20e siècle.

 

La colline d’Annette et Lubin fut le théâtre de divers événements qui marquèrent les journaux et les esprits. On se limitera ici aux articles du journal La Meuse, le plus lu dans la région. La « promenade Annette et Lubin » était proposée dans le cadre d’une excursion d’une journée qui comprenait par ailleurs le « tour des Fontaines » au matin et les classiques visites des Bains et du Parc, avec « retour à Liège à 8h.50 » (26-06-1897). Des concerts, comme celui de « la célèbre phalange musicale de Vienne », donnent l’occasion d’illuminations de la Promenade des Sept-Heures et de « la montagne d’Annette et Lubin, éclairée aux feux de Bengale » (23-8-1876, 27-06-1890). Le souvenir des personnalités qui s’attachèrent au lieu n’est pas oublié, même si le taquin journal y place un bémol. « On se souvient que Mme de Fahnenberg avait acheté, sur le plateau d’Annette et Lubin, un terrain destiné à l’érection d’un somptueux mausolée à la mémoire de sa famille. Or, la comtesse vient de mourir, et l’on assure que par testament elle affecte une somme de 300,000 francs à la construction de cette princière sépulture. Trois cent mille francs pour une tombe !… Mais on pourrait se payer à ce prix-là tout un cimetière » (28-04-1885).

La colline dissimule à l’occasion de bien plus réels trésors, sous un rapport moins « somptueux ». En 1894, un incendie détruit « sur la légendaire montagne » une « maison de modeste apparence », dont des ouvriers s’occupent « à enlever les décombres et à approfondir les fondations », jusqu’à ce qu’ils soient « arrêtés dans leurs travaux par un pavement de dalles » (02-04-1894). L’un d’eux disparut jusqu’à la ceinture entre celles-ci, et l’excavation donna accès à un escalier « dont les éboulements anciens rendaient la descente impossible ». Vingt-trois marches conduisirent à un palier « sur lequel se dessinait une porte en pierre ». Mais on ne put d’abord l’ouvrir, « tant l’humidité avait rouillé les gonds » de même que les trois serrures. « Tous les serruriers et mécaniciens spadois furent requis ». « Au bout d’une heure et demie de travail », « avec force engins de tous genres », la porte sauta. Les plus aventureux découvrirent une salle « qui ne mesurait pas moins d’une dizaine de mètres carrés » et qui « contenait une cinquantaine d’armures en parfait état », avec « quantité d’armes de toutes les espèces ». Mais en outre, « dix immenses coffres en chêne » étaient « plein de bijoux, de monnaies en or, en argent et en bronze ». Le journaliste concluait : « On suppose qu’un château-fort existait jadis sur cet emplacement inexpugnable. La nouvelle, probablement transportée à Verviers, nous amène de cette ville des milliers de curieux. Je vous télégraphierai demain, à la reprise des travaux, s’il y a de nouveaux détails ».

D’autres faits marquants attirèrent l’attention du public vers la même époque[2]. Il nous cependant faire retour à cet opéra-comique d’Annette et Lubin dont il a été question au début à propos des secours apportés par des âmes sensibles aux deux « intéressants villageois ». L’ouvrage nous rapproche du moment où le nom du jeune homme s’imprima au catalogue du Val-Saint-Lambert. Il était, pour le texte, dû à Justine Favart, épouse du célèbre auteur et directeur de l’Opéra-Comique de Paris, et à l’abbé Voisenon. La musique était d’Adolphe Benoit Blaise : elle fut notamment jouée à Liège, à la salle de la Société Libre d’Émulation, le 30 décembre 1887. La représentation de l’opéra-comique fit davantage date quand elle fut donnée en 1901 dans le cadre d’une importante fête organisée par la Société verviétoise de la Protection de l’Enfance (La Meuse, 17 juillet et 6 août 1901). Cette Société avait « pour but de créer une pouponnière destinée à recueillir les enfants abandonnés de 6 mois à 2 ans ».

La manifestation commença le 3 août 1901 par une série d’activités, où se remarque une revue qui rappelait, à l’instar du fameux « Livre d’or » d’Antoine Fontaine, « les principaux personnages de Spa ». Un aspect mis en évidence était constitué de la réception solennelle de la reine Marie-Henriette, épouse de Léopold II. On sait que le souvenir de celle-ci se conserve à Spa par la Villa royale, un des Musées de la Ville d’Eaux, où elle mourut en 1902. La notice consacrée à l’institution clôt la référence à la reine par ces mots : « Nous ne l’oublions pas ! ». L’oubli caractérise en effet cette personnalité, si on considère divers articles que lui ont récemment consacrés les médias : « Marie-Henriette, une reine méconnue[3] » ;  « Marie-Henriette, la reine délaissée[4] » ;  « Marie-Henriette, la reine oubliée de Belgique[5] ».  Tout ceci invite à envisager le contexte dans lequel s’inscrit la visite royale de 1901, en dehors des circonstances qui lient l’épisode à la popularité des pauvres Annette et Lubin.

La reine honora de sa présence les cérémonies mais sans son mari. On en comprend aisément les raisons à la lecture du portrait qu’en trace Gita Deneckere dans Les turbulences de la Belle Époque[6]. « La popularisation et la massification des médias rapprochèrent du peuple les grands du monde, quel qu’ils soient, ce qui ne fut pas sans conséquences problématiques pour la réputation de Léopold II. Depuis 1895, la reine Marie-Henriette vivait en effet presque en permanence dans sa bien-aimée ville de Spa, séparée de son mari. Elle ne venait à Bruxelles qu’occasionnellement, pour un concert ou un opéra, spectacles dont elle raffolait depuis toujours. Marie-Henriette était une femme excentrique qui élevait un lama dans son jardin et avait deux perroquets pour lui tenir compagnie. La conduite ouvertement immorale et légère de Léopold II ne plaisait pas au peuple. En témoignent les moqueries et les injures dont il était la cible, comme « Saligaud II », ou roi « Cléopold », un jeu de mots construit à partir du nom d’une chanteuse d’opéra, Cléo de Mérode, avec qui on le soupçonnait (à tort) d’avoir une relation adultère. Les troubles liés au Congo allaient donc de pair avec les scandales provoqués par la vie sentimentale du roi, et l’on peut se demander ce qui, à l’époque, indigna le plus l’opinion publique. Lorsque la reine mourut en 1902, le roi était en cure dans les Pyrénées avec sa très jeune maîtresse, une prostituée de luxe parisienne nommée Blanche Delacroix, alias la baronne de Vaughan ».

Le journal Le peuple du mois d’août prend ici le relai en évoquant les circonstances de la présence de la reine aux festivités. À Ostende devait avoir lieu l’inauguration de la statue de Léopold Ier. Décidée à inviter Marie-Henriette, la municipalité en avait fait part au roi qui se serait écrié : « Oh ! cela ne me regarde pas. Faites comme vous voudrez » (Le peuple, 16 août 1901). On rapportait aussi une autre anecdote, pour l’occasion. « La reine avait besoin des écuries du roi pour y loger ses chevaux. Mais quand l’autorisation fut demandée au souverain, celui-ci répondit : Ah ! non ! J’en ai besoin. Où mettrais-je mes automobiles ? ». Le journal y ajoutait la relation d’une entrevue entre Léopold II et l’archevêque de Malines. Celui-ci avait été sollicité par Marie-Henriette afin qu’il tâche d’opérer entre les époux un rapprochement, ou du moins pour oser « faire des remontrances à l’infidèle. L’archevêque soupira : « Sire, l’État, la famille, l’exemple, les journaux parlent… ». Le roi sourit : « Vous voulez dire que j’ai été voir des cocottes à Paris ? Eh bien, monsieur le doyen, on a dit la même chose de vous, je ne l’ai pas cru. Faites comme moi ».

Tout ce qui précède éclaire la manière, contrastée, dont La Meuse et Le peuple rendirent compte en 1902 de la mort de la reine (voir illustrations 9-10).

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Illustration 10. – Annonce de la mort de la reine Marie-Henriette dans La Meuse du 20 septembre 1902.

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 Illustration 11. – Extrait de l’annonce de la mort de la reine Marie-Henriette dans Le Peuple du 21 septembre 1902.

 

Il faut poursuivre le récit des fêtes organisées au profit de la Société verviétoise de la Protection de l’Enfance. La journée du 4 août 1901 s’achevai par une « belle fête vénitienne » au lac de Warfaaz. Le lendemain un dîner champêtre à la fontaine de la Géronstère fut suivi, le soir, d’une représentation en plein air d’Annette et Lubin, « comédie en un acte en vers, mêlée d’ariettes et de vaudevilles, par Mme Favart et l’abbé Voisenon ». La Meuse ne manqua pas de faire retour aux grandes heures des premières représentations de l’ouvrage, à Amsterdam ou Copenhague, en rappelant comment Albin Body avait mis à l’honneur en 1872 l’histoire des « deux jeunes bergers légendaires de notre coquette cité[7] ». On se félicitait d’avoir choisi « le site pittoresque de la Géronstère comme décor » et le journal programmait un « retour de cette jolie fête champêtre » en voitures « garnies de lanternes vénitiennes ».

La Meuse du 6 août 1901 rapportait le « grand succès » qu’avait obtenu la représentation d’Annette et Lubin, qui « a merveilleusement réussi ». La chronique ne tarissait pas d’éloges sur la mise en scène. « C’est sur le terre-plein des bals champêtres que le théâtre avait été aménagé avec un goût exquis. Sous les branchages des arbres séculaires de la Géronstère, un portique et des haies de verdure, soutenues par des lances aux bannières blanches fleudelysées, formaient l’enceinte des spectateurs et la scène émergeait d’un parc de fougères et d’arbustes et s’encadrait d’un manteau d’arlequin rustique parsemé de roses, au centre duquel se drapait un rideau rouge frangé de blanc et de vert, les couleurs verviétoises ». L’ensemble était mis en relief par « un brillant éclairage à l’acétylène » qui « donnait à la verdure environnante une légèreté admirable ». « Quand le rideau s’est ouvert sur le décor champêtre, composé d’une cabane et ayant pour fond la forêt réelle, le très-nombreux et très-élégant public qui assistait à cette soirée a été émerveillé et ses applaudissements ont prouvé à M. Renson, l’artiste spadois qui s’était chargé de cette décoration, combien il s’en était acquitté avec goût ». « L’élégance des costumes de l’époque, dont le décor naturel faisait ressortir les couleurs éclatantes », ne contribua pas peu à ce que l’auditoire prenne « grand plaisir à écouter ce dialogue qui rappelait le temps passé » et à entendre « cette musique naïvement charmante de la fin du 18e siècle ».

« Je doute même », ajoute le journaliste de La Meuse, « qu’en 1762 les comédiens italiens du Roi qui interprétèrent cette œuvre pour la première fois à Spa aient eu un succès aussi vif que celui remporté ce soir » par des artistes qui furent « plusieurs fois bissés » et applaudis avec enthousiasme à la fin du spectacle.

Si les festivités spadoises d’août 1901 avaient pu se prévaloir de la traditionnelle attention de la reine, d’autres réjouissance n’avaient pas eu cette faveur, une quinzaine d’années plus tôt.  La Meuse du 2 septembre 1887 relatait sans ambages comment avait été vécue la célébration du centième anniversaire de la guérison de la duchesse d’Orléans par les eaux de la Sauvenière, un des événements les plus marquants de l’histoire de Spa. Isabelle Havelange a raconté en 2016 le salutaire séjour qu’accomplirent à l’été de 1787 le duc Louis-Philippe-Joseph d’Orléans (1746-1793) et la duchesse d’Orléans, accompagnés de leur quatre enfants, à la cité thermale[8]. La duchesse, au départ Marie-Adélaïde de Bourbon, riche héritière, remonte à un bâtard de Louis XIV. Elle voyage en compagnie de l’écrivaine Madame de Genlis, chargée de l’éducation des enfants. La légitimité du futur roi est mise en doute par Victor Hugo qui fait dire au bouffon Triboulet, dans Le roi s’amuse (1832) : « Vos mères aux laquais se sont prostituées ». L’aîné, âgé de quatorze ans, deviendra Louis-Philippe, dernier « roi des Français », de 1830 à 1848. La bâtardise règne.

La Meuse regrette quant à elle que le centenaire de la visite des Orléans « modernes », en 1887, ait été snobé par les autorités. « La Famille royale de Belgique s’étant cru obligée de refuser d’assister à cette espèce de jubilé orléaniste, la ville a remis dans ses cartons les invitations destinées aux membres de la Famille d’Orléans ; dès lors le Comité des fêtes a été forcé de réduire le programme des festivités et de ne donner que des réjouissances où la présence des hôtes illustres que l’on espérait recevoir n’était pas indispensable ». À Spa comme à Verviers, fer de lance des idées progressistes et révolutionnaires en Belgique, le climat social se ressentait des troubles qui agitaient la Wallonie. Des grèves avaient eu lieu dans les bassins miniers au printemps[9]. À la fin du mois de mai était créé le Parti progressiste de Paul Janson, et en été, des sections du Parti ouvrier belge se regroupaient autour d’Alfred Defuisseaux sous l’enseigne du Parti socialiste républicain. Mais le comité des fêtes eût préféré que celles-ci se tiennent à l’écart d’autres considérations. « Dans l’intérêt de notre jolie ville d’eaux, il est regrettable que la politique se soit mêlée à cet anniversaire ; il n’avait rien de commun avec elle ». On a manqué l’occasion de remettre en mémoire « une guérison éclatante qui a augmenté la grande renommée de notre ville d’eaux, la plus ancienne du monde ».

La mise en scène de l’événement fut totalement décevante. Les festivités ont commencé, au théâtre de Spa, « nullement décoré », par « la représentation de l’Aveugle de Spa, un très-vieux lever de rideau qui n’avait d’autre attrait que son titre et l’avantage, si cela en est un, d’être écrit par Mme de Genlis ». « Le lendemain, à la Sauvenière, au lieu de représenter avec les costumes du temps la fête brillante qui y fut donnée, en 1787, (…)  on s’est contenté de redorer les inscriptions placées sur le monument, de repeindre la petite grille qui l’entoure, d’enguirlander quelque peu les arbres de la promenade », etc. « J’oubliais de dire qu’il y avait aussi un dîner en pique-nique, mais c’est là un plaisir que l’on peut se procurer tous les jours à la Sauvenière sans qu’il soit besoin pour cela d’un Comité organisateur ». Notons encore que ces réjouissances, qui s’achevèrent « par une grande fête de nuit au parc de Sept-Heures » et par un feu d’artifice attirèrent « une foule énorme ». « Si le centenaire que l’on fêtait n’a pas été célébré avec tout l’éclat désirable par la ville », néanmoins, des étrangers ont rehaussé cette années la saison spadoise, sans comparaison, il est vrai, avec le « nombre considérable de dames et de seigneurs de tous pays » venus avec les Orléans en 1787. Le journal ne rappelait-il pas, en se référant à nouveau à Albin Body, que ceux-ci étaient accompagnés « d’une suite de 150 personnes, de 20 chevaux et de deux chameaux, dont l’un servait de monture à la duchesse pour se rendre à Annette et Lubin, alors la promenade favorite, tandis que l’autre allait presque chaque jour chercher des provisions à Liège, excitant une vive curiosité parmi la population des villages qu’il traversait ».    

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Illustration 12.

Dès 1832, James Fenimore Cooper s’arrête à Spa au cours d’une excursion vers le Rhin. Le récit de son expérience est reproduit par Arthur Haulot dans un très riche et précieux ouvrage collectif dirigé par Georges Sion[10]. L’auteur américain écrit dans Gleanings in Europe. The Rhine : « La gloire de Spa s’est évanouie ! Il fut un temps où les oisifs, les joyeux et les désoeuvrés se rendaient en foule dans ce village retiré pour intriguer et jouer, sous le prétexte de boire les eaux ; quand se pressaient dans ses salons princes et nobles, même des monarques fréquentaient ses fêtes [en français], et prenaient part à ses festivités. Les habitants industrieux n’épargnent aucun effort, aujourd’hui encore, pour y rendre le séjour plaisant, mais le goût capricieux de l’époque attire le voyageur vers d’autres sources, où les invitent des retraites plus plaisantes ».

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Illustration 13.

Un demi-siècle plus tard, Victor Hugo est plus mordant, dans les Choses vues. Le passage est également cité par Arthur Haulot. « Voici quels sont, en cet an 1847, les plaisirs des baigneurs riches, nobles, élégants, intelligents, spirituels, généreux et distingués de Spa : 1° Emplir un baquet d’eau, y jeter une pièce de vingt sous, appeler un enfant pauvre, et lui dire : Je te donne cette pièce si tu la prends avec les dents. L’enfant plonge sa tête dans l’eau, y étouffe, y étrangle, sort tout mouillé et tout grelottant avec la pièce d’argent dans sa bouche, et l’on rit. C’est charmant. 2° Prendre un porc, lui graisser la queue, et parier à qui la tiendra le plus longtemps dans ses mains, le porc tirant de son côté, le gentilhomme du sien. Dix louis, vingt louis, cent louis. On passe des heures à ces choses. Cependant la vieille Europe s’écroule, les jacqueries germent entre les fentes et les lézardes du vieil ordre social ; demain est sombre, et les riches sont en question dans ce siècle comme les nobles dans le siècle dernier[11]. »  

Dernière citation empruntée à Arthur Haulot. Proudhon écrit de Spa le 11 septembre 1859 : « Tout ce monde équivoque, ce luxe, cet étalage d’or, me scandalise. »

 

[1] Sur ces derniers, voir Muriel Collart et Daniel Droixhe (éd.), Spa, carrefour de l'Europe des Lumières les hôtes de la cité thermale au 18e siècle : actes du colloque organisé par la Société wallonne d'étude du 18e siècle (Spa, 25-26 septembre 2012), Paris, Hermann, 2013 ; Daniel Droixhe, « Actualité d’Annette et Lubin : Spa, Marmontel et Fragonard », https://www.swedhs.org/ebibliotheque/articles/annettelubin.html. Article écrit à l'occasion de l'exposition Fragonard (Paris, Musée Jacquemart-André, 3-10-2007-13-1-2008).

 [2] Le 20 octobre 1890, La Meuse signale qu’un « superbe bolide », « aussi brillant qu’un phare électrique », « a traversé le ciel, se dirigeant de l’Est vers le Nord », laissant derrière lui « une longue trainée semblable à une fusée de feu d’artifice ». « Le bolide se rapprochait vivement de la terre et a semblé tomber dans la montagne d’Annette et Lubin ».

[6] Gita Deneckere, Les turbulences de la Belle Époque. Traduit du néerlandais par Anne-Laure Vignaux, Bruxelles, Le Cri, 2010, p.20.

[7] Albin Body, Annette et Lubin. La légende et l’histoire, Bruxelles, Vanderauwera, 1872.

[8] Louis-Philippe d’Orléans, Charles Gardeur-Lebrun, Journaux de voyage et d’éducation – Spa, été 1787, éd. Isabelle Havelange, Paris, Classiques Garnier, 2016 (préface de Dominique Julia).

[9] Gita Deneckere, Les turbulences de la Belle Époque : 1878-1905, Bruxelles, Le Cri, 2010.

[10] On aménage la traduction fournie par Arthur Haulot, « Spa », dans Regards venus d’ailleurs sur Bruxelles et la Wallonie, sous la direction de Georges Sion, Bruxelles, Éditions Trois Arches, 1980, p. 239-242 ; d’après James Fenimore Cooper, Gleanings in Europe. The Rhine, Historical Introduction by Ernst Redekop and Maurice Geracht, Text Established and Explanatory Notes Prepared by Thomas Philbrick and Maurice Geracht, Albany, State University of New York Press, 1986, p. 110.

[11] Op. cit., p. 242-248.

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