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Lexique, industrie, commerce

20 janvier 2022

Le «Bartels», la mission Bartels au Congo et les missionnaires (1901)

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 Illustration 1.

Si le catalogue des Dessins des modèles de verres et vaisselles du Val-Saint-Lambert pour 1904-1905 mentionne au n° 148 du premier fascicule un « Service Bartels », ce nom n’évoque plus grand-chose aujourd’hui. Identifier la personne qu’il désigne n’est cependant pas trop difficile. La presse belge de 1901 lui fait en effet une assez large place, de même que les journaux de la « Belle Époque » éclairent l’origine d’autres appellations de la même production, comme le modèle « Lubin », qui a fait l’objet d’un « post précédent.

Le 2 décembre 1901, le Journal de Bruxelles annonçait : « Une dépêche parvenue samedi à Bruxelles a apporté la très pénible nouvelle de la mort au Congo du colonel Bartels, une des figures les plus sympathiques et les plus populaires de l’armée ». Le soir du même jour diffusait la nouvelle en qualifiant Eugène-Thierry-Joseph Bartels d’« un des plus jeunes officiers supérieurs de notre état-major » et écrivait que « ses très nombreuses qualités l’appelaient à de hautes destinées ». Le XXe siècle, « le meilleur marché de tous les journaux politiques », esquissait au même moment la biographie du militaire, âgé de cinquante-deux ans, « fils du général Bartels, ancien combattant de 1830 et le neveu du célèbre avocat Jules Bartels, qui fut une figure des plus illustres du barreau belge ». La métropole ne tarissait pas d’éloges sur cet « officier des plus distingués » qui était sorti premier de l’école de guerre et qui avait bientôt « commandé l’état-major des provinces de Namur puis de Liège ». Il se signalait en outre « par une très grande modestie et une simplicité excessive », « bien que se liant très difficilement ». « Homme d’une profonde érudition, ses connaissances ne se bornaient pas aux seules choses de sa profession. Il s’intéressait à tout et appropriait son éclectisme à tous les domaines de la science et de l’art ».

Le colonel Bartels avait été enterré le 21 novembre en Afrique. On comprend la solennité que revêtit le service funèbre organisé en sa mémoire à l’église de Saint-Josse-ten-Noode (Illustration 2-3).

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Illustration 2.
Faire-part du service funèbre organisé le 9 décembre 1901 à l’église de Saint-Josse-ten-Noode pour le lieutenant-colonel Bartels. Coll. privée.

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Illustration 3.
L’église de Saint-Josse-ten-Noode. Carte postale de 1905. Coll. privée.

La réforme : organe de la démocratie libérale relate la cérémonie organisée le 10 décembre à Saint-Josse-ten-Noode. « L’affluence était considérable et réunissait, outre de nombreux officiers de tous les régiments de la garnison, divers dignitaires et fonctionnaires de l’État indépendant du Congo, de nombreuses personnalités coloniales, ainsi qu’une foule considérable d’amis particuliers et de nombreuses dames. » On reconnaissait notamment dans l’assistance « le général Chapelié, représentant le roi, le baron Goffinet, secrétaire des commandements de la reine, le baron De Moor, aide de camp du comte de Flandre, le colonel Jungbluth, aide de camp du prince Albert, les généraux Daloze, Boyaert, Rouen, Docteur, Buffin, de Moranville, Waidor de Heusch, Fivé, Peny », etc.

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 Illustration 4.

La disparition du colonel Bartels s’inscrit dans le cadre des entreprises coloniales de Léopold II. Celui-ci le chargea en 1901 d’une mission d’inspection dans les provinces orientales du Congo, en qualité de commissaire spécial. Le Journal de Bruxelles du 26 janvier et Le petit bleu du matin du 2 février dessinent l’itinéraire « approximatif » de la mission. Celle-ci devait partir de Basoko, sur la rive droite du fleuve Congo, où subsiste le « mur anti-esclavagiste » perpétuant le souvenir du premier camp militaire belge au Congo. De là, elle devait remonter le fleuve jusqu’à Ponthierville, aujourd’hui Ubundu, pour aller aux lacs Kivu, puis Moero ou Mwero, à la frontière de l’actuelle République démocratique du Congo et de la Zambie (redéfinie par un traité en 1989). La mission devait ensuite gagner le lac Tanganyika, faire un saut jusqu’à l’Ubangi, rejoindre le fleuve Kasaï et s’avancer dans le Bas-Congo. Le Journal de Bruxelles concluait : « Le colonel Bartels visitera donc tout le Congo, y compris le Katanga. » Il devait être accompagné d’une escorte de 100 soldats et de 600 porteurs. La mission, qui était censée durer environ deux ans, s’annonçait donc considérable.

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Illustration 5.
Caricature du roi Léopold II, censé avoir qualifié le Congo de « magnifique cadeau africain », qu’il s’attribue comme propriété personnelle.

La Biographie coloniale belge rapporte qu’il embarqua à Anvers en mars 1901. Mais le Journal de Bruxelles du 12 février informe pour sa part qu’il partira en fait de Lisbonne « pour Santa-Cruz-de-Ténériffe, où il attendra l’arrivée du bateau partant d’Anvers le 14 mars ». La réforme ne manque pas de détailler le trajet du colonel depuis Bruxelles, qu’il quitte « par l’express de Paris, à 12 h.54 », avant d’embarquer à Lisbonne, le 8 mars, pour Las Palmas et de rejoindre, le 21, à Sante-Cruz-de-Ténériffe « le vapeur de la ligne régulière Anvers-Matadi » (07-03-1901). La Meuse du 15 mars annonce ainsi que l’envoyé du roi part pour l’Afrique de Ténériffe sur l’Albertville.

Si le nom du colonel Bartels domine la presse belge du mois de mars, un autre Bartels est davantage présent, au même moment, dans le journal Le peuple. Le principe des « simultanéités » mis en œuvre par le romancier John Dos Passos – « le plus grand écrivain de notre époque » selon Jean-Paul Sartre – nous invite à rapprocher, en toute modestie, faut-il-le dire, deux personnes que ne reliait rien d’autre que leur disparition en 1901. Deux informations distinctes peuvent ouvrir, en parallèle et plus encore en contraste, sur la manière dont un journal reflète tel ou tel regard porté sur l’actualité, et au-delà sur des idées politiques très différentes. Il vaut peut-être la peine, alors, de s’arrêter à cet entrecroisement[1].

Le peuple du 1er et du 8 mars 1901 évoque la mort de Louis Bartels, manœuvre de la gare d’Anvers, qui, « pris mercredi dernier entre deux battoirs », « a succombé à ses blessures ». On ne peut manquer de remarquer que le journal n’accordera que quelques lignes, en décembre, à la disparition du colonel Bartels, et son départ pour le Congo ne fait pas l’objet d’une nouvelle. L’événement n’intéresse pas. Les commentaires sur l’accident de l’ouvrier en disent beaucoup plus.  « Comme d’habitude », s’émeut le journal socialiste, « l’administration cherchera à dégager sa responsabilité ». Louis Bartels travaillait seul « alors que, selon les règlements, le travail doit s’effectuer à deux ». En outre, on lui imposait, alors qu’il n’était que manœuvre, une charge supplémentaire de caleur. Pour tous ses camarades, l’administration est donc en défaut. Et puis : « N’est-il vraiment pas scandaleux de payer un salaire de 2 fr. 80 à des ouvriers qui font 10 à 12 heures de travail de jour ou de nuit et qui risquent à chaque instant leur vie ». « N’est-il pas plus scandaleux encore de la part de l’administration, de ne pas donner à la victime d’un accident arrivé au service la moindre pension et de chicaner et procéder au sujet d’une indemnité à la veuve de la victime et à ses deux enfants ? Comme toujours la presse signale au public toutes ces indignités mais sans effet. Hier, ont eu lieu les funérailles de la victime. Il y avait foule. »

Le peuple corrigera une partie de l’article en publiant une semaine plus tard : « C’est par erreur que nous avons dit que la veuve Bartels n’aurait pas de pension. L’art. 87 des statuts de la Caisse de retraite et de secours, page 194 de la brochure du Personnel ouvrier de l’État, nous fait remarquer le Chempostel, donne droit à une pension à la veuve et à ses enfants. » Le ChemPosTel était l’organe du personnel subalterne du département des chemins de fer, postes, télégraphes et marine.

Il faut revenir à notre objet principal, le colonel Bartels. Son arrivée en Afrique commence par un arrêt à Boma, capitale de l’État indépendant du Congo puis du Congo belge, avant Léopoldville. Boma était la ville portuaire « où Stanley avait achevé sa traversée épique de l’Afrique à pied en 1877[2] ».  « Là se dressaient les bureaux du gouvernement et les maisons des Européens qui y travaillaient. » Trois fois par jour, la petite colonie se rendait à l’hôtel au bas de la colline pour prendre ses repas, sauf le gouverneur général, « qui demeurait dans sa digne maison victorienne », d’où il exerçait un pouvoir assez réduit. En effet, « plus que toute autre colonie africaine, le Congo était administré directement d’Europe », par Léopold II et « un mini-cabinet de trois ou quatre Belges ».  « À l’échelon inférieur, l’autorité du roi sur sa colonie était appliquée par des Blancs chargés des districts et des stations sur le fleuve » – celle que visitera Bartels.

« Les fonctionnaires blancs du Congo de Léopold étaient en général des célibataires, dont beaucoup prenaient une ou plusieurs concubines africaines. » « Les photographies des postes reculés (…) reproduisent pratiquement toutes la même scène. Les ombres étirées indiquent qu’on est en fin d’après-midi. Les deux ou trois hommes blancs figurant sur le cliché portent costume, cravate et casque colonial allongé, pareil au couvre-chef de l’agent londonien, mais blanc. Le visage souriant, ils sont assis dans des fauteuils d’osier, un chien à leurs pieds, devant une tente ou un simple bâtiment au toit de chaume. Debout derrière eux, leurs serviteurs africains. Eux ont le visage fermé et posent avec un emblème de leur statut : un plateau, une serviette drapée sur un bras, une bouteille prête à être versée. Des verres à vin ou des tasses à thé sont posés sur la table, symboles de confort domestique. Les hommes blancs sont toujours vêtus de blanc. »

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Illustration 6.
Caricature anglaise intitulée « Dans les bobines de caoutchouc », une scène de « l’État ‘libre’ du Congo » (Parti du Travail de Belgique, https://archive.ptb.be/articles/une-verite-qui-derange-la-colonisation).

 On peut dire que Boma, en ce printemps de 1901, est en effervescence, d’après le Journal de Bruxelles du 24 mars et L’indépendance belge du 5 avril. Les passagers du Philippeville, de retour en Belgique, font état des graves troubles qui agitent la région, et l’origine des attaques que subissent les colons n’est pas dissimulée. Le nommé Dufranne « a été mis en prison préventive sous l’accusation d’avoir tué deux nègres qui avaient tenté de l’empoisonner ». Il « attendait encore de comparaître devant ses juges » (Journal de Bruxelles). Son procès était prévu pour le lendemain ou le surlendemain. On apprendra bientôt qu’il « a été remis en liberté provisoire, avec Boma comme lieu de résidence ». Son cas paraît loin d’être isolé. « Il est exact que MM. Béguin et Demanet, de l’Ikélemba, aient été arrêtés sous l’inculpation d’actes de cruauté contre des nègres ». La ville d’Ikélemba est située dans la région de Sangha, dont le département touche aujourd’hui au nord et à l’ouest au Cameroun. Cependant, l’un des passagers du Philippeville tempère la faute de Dufranne et « assure que ces actes ne sont pas aussi graves qu’on l’a dit ».

On lit également dans L’indépendance belge : « À signaler encore l’arrestation d’un agent commercial qui aura à répondre de violences commises sur de jeunes négresses ». Ces dernières nouvelles sont reproduites dans le Journal de Charleroi du 5 avril. Il est vrai que ces « jeunes négresses » apparaissaient quelque peu provocatrices, comme en témoigne Le patriote du 4 avril 1901. On y lit, sous le titre « Au pays des anthropophages », une lettre du P. Mauger, de la congrégation des « Pères du Saint-Esprit », lesquels « s’occupent spécialement de la race noire, et ont en Afrique près de 500 missionnaires ». Le courrier, adressé à un ami, est reproduit parce qu’il « ne manque pas de saveur, ni de cette franche gaieté qui remplit le cœur des hommes vraiment apostoliques », annonce Le patriote. L’information mérite aussi d’être diffusée parce qu’elle illustre à quel point « la vie des missionnaires est en danger », ainsi qu’on va le voir. « En Afrique, les noirs les attaquent parfois… pour les manger[3]. »

Parmi « ces jolis paroissiens », certains, sans doute, font preuve d’amabilité envers le P. Mauger. Ainsi, « les femmes viennent nombreuses m’apporter leurs vivres indigènes ». Mais elles sont décevantes, quand il les conduit « à la modeste case qui nous sert de chapelle » pour leur « parler du bon Dieu ». « Les hommes entrent bien ; mais les femmes, c’est autre chose : ‘Ça, disent-elles, c’est fétiche pour le blanc’ et elles écoutent à la porte ! ». Une autre particularité de ses paroissiennes suscite un commentaire du missionnaire. « Saint Paul, dans son temps, voulait que les femmes fussent voilées dans l’église. Misère humaine ! que dirait-il, s’il voyait nos négresses dans leur costume vraiment par trop primitif ! Parfois, je me fâche et les insulte (en français qu’elles ne comprennent pas). Au moment même où je t’écris, une vieille est en train de m’agacer pour que je lui donne un miroir, horreur ! »

Dans la lettre du P. Mauger, les enfants ne sont pas ménagés. Leur vivacité peut indisposer. « Je ne puis », raconte le Père, « me débarrasser d’un régiment de petits noirs qui s’installent sur leur derrière autour de moi » : « pour eux, comme pour tant d’autres, où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir ». « L’un est en train de me tirer la barbe, un autre… tâte mes mollets !! (Il n’y a vraiment pas quoi lui faire venir l’eau à la bouche !) ». En outre, ces garnements « viennent parfois pour voler le peu que nous avons ». « Le jour, ils examinent où tout repose, et la nuit coupent les lianes de nos cases, arrachent les pieux et s’enfuient après nous avoir dévalisés ». C’est que les adultes leur donnent l’exemple. « Déjà, le 30 avril dernier ils ont tenté de me passer leurs sagayes à travers le corps ; et, s’ils n’ont pas réussi à m’envoyer ‘ad patres’, ce n’est pas manque de bonne volonté. Plus de 20 sagayes ont été lancées sur moi, et presque à bout portant. J’ai échappé comme par miracle ». Les photos témoignant de la répression qui s’abat sur des enfants et jeunes gens supposés « délinquants » ou voleurs, à qui une ou plusieurs mains ont été coupées, sont nombreuses. On n’en reproduit qu’une.

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Illustration 7.

Adam Hochschild rapporte plus largement à quel point « les rigueurs du régime de Léopold n’étaient pas épargnées aux enfants » (p. 227-229). Le roi avait conçu, en 1890, d’ouvrir trois colonies d’enfants, dont le but était surtout « de fournir des soldats ». Ils seraient logés dans de grandes casernes « pouvant abriter chacune jusqu’à mille cinq cents enfants et le personnel directeur ». Ceux-ci étaient en général amenés « à la chicotte et à la chaîne ». « Les mutineries y étaient fréquentes. . Ceux qui s’y entassaient devaient affronter malnutrition et maladies au point que le taux des décès dépassait les 50 %. La mère supérieure d’une colonie féminine écrit en 1895 : « Plusieurs des petites filles à leur arrivée étaient si chétives que (…) nos bienveillantes sœurs n’ont pas pu les conserver, mais toutes ont eu le bonheur de recevoir le saint baptême ; ce sont autant de petits anges qui au ciel prient pour notre auguste souverain. »

L’hostilité des colonisés va éclairer d’une autre manière ce que l’on croit savoir de la disparition du colonel Bartels. Le journal Le soir du 19 juin 1902 va publier une mise au point sur les circonstances de sa mort. « Bartels souffrait terriblement de la mâchoire et in attribuait ses souffrances, qui lui avaient gonflé démesurément la figure, à un mal de dents. . Il consulta à Bauduinville, aujourd’hui Moba, sur la rive occidentale du lac Tanganyika, un des Pères blancs d’Alger, qui l’engagea, vu la gravité de l’affection, à voir plutôt un médecin résidant à Uvira, dans la province du Sud-Kivu. « Ce dernier constata une maladie de la mâchoire et, jugeant l’état du colonel trop grave pour lui faire subir une opération immédiate, il lui donna une tisane de racines de guimauve pour calmer l’inflammation de la joue. » On notera au passage que les feuilles de guimauve étaient traditionnellement employées, en médecine populaire, dans les cataplasmes censés soigner des tumeurs inflammatoires. Bartels embarqua donc sur le steamer Ka-Tanga mais son état empira en cours de route, et il mourut.

Le Soir corrige « une information de l’Indépendance, d’après laquelle le colonel Bartels serait mort empoisonné par un féticheur nègre auquel il aurait confié sa mâchoire pour se faire arracher une dent ». L’Indépendance du même jour publiait en effet ceci, qui se passe de commentaires : « J’ai appris de très bonne source que le colonel Bartels, qui a succombé l’année dernière, lors de son expédition à la frontière orientale de l’État du Congo, est mort de l’extraction d’une dent par un nègre. Le colonel souffrait beaucoup ; on lui dit qu’un sorcier du voisinage arrachait les dents avec un talent remarquable ; ces gens sont à la fois prêtre et médecin. On fit donc venir l’opérateur qui peut-être jugea l’occasion belle pour empoisonner un blanc, car, immédiatement après l’opération, la tête enfla de façon démesurée et le colonel mourut dans la soirée. Il est dangereux de confier sa mâchoire à un féticheur et l’on ne comprend guère que Bartels ait commis pareille imprudence ».

La lecture des journaux des années précédant l’arrivée du colonel en Afrique aurait pu ou dû rendre celui-ci plus prudent. Des Congolais à qui des Belges avaient appris le maniement des armes à feu ne cessaient de menacer ces derniers. Les années1897-1898 avaient été marquées par des insurrections connues sous le nom de « Révolte des Batetela ». En avril 1900 eut lieu un des épisodes les plus marquants de la révolte. Le 17, « à l’appel de 2h. ½, alors que rien, paraît-il, n’eût pu faire prévoir la chose, le travail s’étant fait le matin comme d’habitude, les soldats du fort ont pénétré dans le magasin d’armes, se sont armés de fusils et à l’arrivée des officiers et sous-officiers blancs, les ont bel et bien mis en joue » (L’Indépendance belge, 17-04-1901). ». Ces soldats africains mêlaient différentes ethnies de sorte, pensaient les autorités, que ceci préviendrait un risque d’unification d’un mouvement de rébellion. Désarmés, les Blancs, poursuit le journal, « n’ont eu que le temps de déguerpir et de se mettre à l’abri ».

Une fois le fort en possession des révoltés, « ces messieurs se mettent aux canons et envoient sur Boma quantité innombrable de projectiles ». L’Albertville se réfugie sur le fleuve « quelques cents mètres plus loin ». Des boulets l’épargnèrent de peu. Le témoin cité par l’Indépendance belge raconte : « Je suis assis à la terrasse de chez Martins, le seul établissement ouvert. Bientôt deux boulets sifflent à nos oreilles et passent au-dessus de la verandah où nous sommes pour aller tomber l’un dans le Congo, l’autre dans la brousse, non loin de nous. Je juge qu’il ferait bon rentrer chez soi ». Une affiche du gouverneur général place la ville sous régime militaire spécial et convoque sous les armes « tout ce qui est blanc à Boma ». « Ces blancs, suivant la coutume, deviennent donc des bleus. Coiffés du grand chapeau, vêtus du costume de toile, la cartouchière sur le ventre et le fusil sur l’épaule, on croirait voir un détachement de Boers ».

L’allusion à la guerre des Boers, qui s’étend en deux temps de 1880 à 1902, rappelle des circonstances qui déterminèrent aussi – sur le plan des « jolités » dues au Val-Saint-Lambert – la nomination de certains modèles de verrerie : un sujet qui pourrait faire l’objet d’une autre chronique d’histoire industrielle et commerciale. 



[1] Muriel Collart me signale un roman qui exploite une autre rencontre de deux personnages ouvrant pour ainsi dire sur des mondes parallèles. Dans Kennedy et le dinosaure (Murmure des soirs, 2021), l’écrivain belge Michel Lauwers place à l’origine de cette rencontre une banale enquête sur des peintures murales : « une publicité Campari à Schaerbeek » et « celle, non commerciale, d’un diplodocus sur une façade de la maison parentale à Auderghem » (Le carnet et les instants. Le blog des Lettres belges francophones, 10 mai 2021). Un décalage dans le lettrage de la publicité fait apparaître « l’intervention de deux peintres successifs », qui conduit à l’interrogation sur le meurtre de John Fitzgerad Kennedy.

[2] Adam Hoschshild, Les fantômes du roi Léopold. La terreur coloniale dans l’État du Congo. 1884-1908, Paris, Tallandier, 2019, p. 197 sv.

[3] Dans Afrique plurielle. Études de littérature comparée (Amsterdam/Atlanta : Rodopi, 1996, p. 60-64), Albert Gérard livre une lecture particulièrement aiguë et caustique de l’ouvrage de Christopher L. Miller, professeur à Yale, intitulé Blank Darkness : Africanist Discourse in French, paru en 1985 (« Une Afrique imaginaire »).  Il conclut : « Le lecteur sémiotisé s’inquiète du sens secret du ‘discours’ millérien et se demande s’il ne s’agirait pas en premier lieu de produire une image négative et culpabilisante des littérateurs français – c’est-à-dire européens (voyez les pages sur Conrad), ou, par extension chromatique, tout simplement ‘blancs’ – qui n’auraient jamais présenté qu’une vision péjorative (intentionnellement ou non) de l’homme noir sans même le connaître. Blank Darkness se situerait alors dans la ligne, non pas de l’antiracisme, mais d’un contre-racisme afrocentré assez à la mode dans certains milieux ». A. Gérard suggère une « contre-épreuve » qui consisterait en « une explication du ‘discours européiste’ dans les littératures africaines » et analyserait « la vision africaine de l’homme blanc, qui s’exprime aujourd’hui abondamment par écrit ». On en trouve des « vestiges » chez Ibn Battuta, voyageur berbère du XIVe siècle, selon qui ses contemporains prétendaient que « manger un homme blanc était dangereux parce qu’il n’est pas mûr, à point [ripe] ». À l’image péjorative du Noir chez l’Européen répondrait dans l’autre sens, ironise Gérard, « une image tout aussi péjorative fondée sur des critères ‘culinaires’ autrement substantiels ». Ainsi se dessinerait « un exposé équilibré qui, sans doute, renverrait dos à dos homme noir et homme blanc, également humains dans leurs fantasmes arbitraires ». Accorderait-on à l’allusion fantasmati²que du P. Mauger la distance de l’ironie ?

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28 décembre 2021

Le «Lubin», la comédie de Justine Favart et la colline de Spa

En souvenir d’Albin Body.

Le catalogue de 1904-1905 du Val-Saint-Lambert propose, au premier fascicule, parmi les Dessins des modèles de verres et vaisselles, le service « Lubin », sous le n° 184.

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Illustration 1. – Val-Saint-Lambert, catalogue 1904-1905

 

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Illustration 2. – Val Saint-Lambert. Modèle « Lubin ». Coll. privée. Cliché Alice Piette.

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Illustration 3. – Val Saint-Lambert. Modèle « Lubin », détail. Coll. privée. Cliché Alice Piette. 

 

L’origine de l’appellation est évidente et entraîne inévitablement vers Spa. Ce n’est pas ici l’endroit de revenir en détail sur la longue histoire d’Annette et Lubin, qui remonte au 18e siècle, quand Jean-François Marmontel, en 1761, en fit les sujets d’un « conte moral » qui jouit immédiatement d’un immense succès (illustration 4).

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Illustration 4. – Gravure de Hubert-François Gravelot (1699-1773) d’après un dessin de Joseph de Longueil (1730-1792) pour illustrer le conte Annette et Lubin de Marmontel. Cambridge, Harvard University, Fogg Art Museum, Wikimedia Commons.

 

Le thème, purement anthropologique, était celui des amours coupables d’un cousin et d’une cousine dont la relation « contre nature » engendrait un enfant voué à la réprobation du public. L’emprunt du récit à un fait d’actualité survenu à Spa a été discuté. La question nous importe peu ici, même si un document du temps associe l’épisode à deux « intéressants villageois » de « Cormeil en Parisis » qui auraient fourni à Marmontel le « parfait modèle de l’amour conjugal » (illustration 5). La gravure mentionne, au bas de celle-ci, deux médaillons qui représentent « leurs portraits actuels dessinés d’après nature ». Elle rappelle par ailleurs que « la touchante anecdote » a aussi donné lieu à « l’aimable comédie de Mme Favart », dont il sera question ci-dessous.

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Illustration 5. – Annette et Lubin peint et gravé par Philibert-Louis Debucourt (1755-1832). L’oeuvre a été réalisée à l’occasion des secours apportés par des « âmes sensibles » aux supposés Annette et Lubin, que des « circonstances malheureuses jointes à la rigueur de l’hiver dernier ont réduit à la plus dure nécessité » (18e siècle, Bibliothèque nationale de France, Gallica).

 

On se bornera aux évocations de la légende d’Annette et Lubin qui ont pu, vers 1900, mettre en évidence leur actualité puisqu’il s’agit ici de lier celle-ci au choix d’une désignation commerciale. Mais il va de soi que la tradition attachée au nom de Lubin suffirait à elle seule à justifier ce choix, pour un produit réalisé dans la région liégeoise, en particulier quand cette production s’avère relativement luxueuse.

Pour le grand public de l’époque et spécialement pour les étrangers qui prenaient les eaux de Spa, [1] les noms d’Annette et Lubin sont associés au sommet de la colline où était située la feuillée ou cabane qui aurait anciennement abrité leurs amours. La « colline d’Annette et Lubin » était un des hauts-lieux de la visite des bobelins. La gravir faisait partie des rituels d’un séjour spadois accompli. Il faut dire que la « promenade » requérait un certain effort : la côte d’Annette et Lubin, qui fait toujours partie aujourd’hui d’un parcours défiant les marcheurs, s’étend sur plus de 90 mètres pour une pente moyenne de plus de 10 %, avec des pentes de plus de 13 % (illustrations 5-6-7).

 

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Illustration 6.

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Illustration 7.

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 Illustration 8. – Le parcours de l’ascension de la colline d’Annette et Lubin, d’après le site ClimbFinder. 

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Illustration 9. – Enfin au sommet… au début du 20e siècle.

 

La colline d’Annette et Lubin fut le théâtre de divers événements qui marquèrent les journaux et les esprits. On se limitera ici aux articles du journal La Meuse, le plus lu dans la région. La « promenade Annette et Lubin » était proposée dans le cadre d’une excursion d’une journée qui comprenait par ailleurs le « tour des Fontaines » au matin et les classiques visites des Bains et du Parc, avec « retour à Liège à 8h.50 » (26-06-1897). Des concerts, comme celui de « la célèbre phalange musicale de Vienne », donnent l’occasion d’illuminations de la Promenade des Sept-Heures et de « la montagne d’Annette et Lubin, éclairée aux feux de Bengale » (23-8-1876, 27-06-1890). Le souvenir des personnalités qui s’attachèrent au lieu n’est pas oublié, même si le taquin journal y place un bémol. « On se souvient que Mme de Fahnenberg avait acheté, sur le plateau d’Annette et Lubin, un terrain destiné à l’érection d’un somptueux mausolée à la mémoire de sa famille. Or, la comtesse vient de mourir, et l’on assure que par testament elle affecte une somme de 300,000 francs à la construction de cette princière sépulture. Trois cent mille francs pour une tombe !… Mais on pourrait se payer à ce prix-là tout un cimetière » (28-04-1885).

La colline dissimule à l’occasion de bien plus réels trésors, sous un rapport moins « somptueux ». En 1894, un incendie détruit « sur la légendaire montagne » une « maison de modeste apparence », dont des ouvriers s’occupent « à enlever les décombres et à approfondir les fondations », jusqu’à ce qu’ils soient « arrêtés dans leurs travaux par un pavement de dalles » (02-04-1894). L’un d’eux disparut jusqu’à la ceinture entre celles-ci, et l’excavation donna accès à un escalier « dont les éboulements anciens rendaient la descente impossible ». Vingt-trois marches conduisirent à un palier « sur lequel se dessinait une porte en pierre ». Mais on ne put d’abord l’ouvrir, « tant l’humidité avait rouillé les gonds » de même que les trois serrures. « Tous les serruriers et mécaniciens spadois furent requis ». « Au bout d’une heure et demie de travail », « avec force engins de tous genres », la porte sauta. Les plus aventureux découvrirent une salle « qui ne mesurait pas moins d’une dizaine de mètres carrés » et qui « contenait une cinquantaine d’armures en parfait état », avec « quantité d’armes de toutes les espèces ». Mais en outre, « dix immenses coffres en chêne » étaient « plein de bijoux, de monnaies en or, en argent et en bronze ». Le journaliste concluait : « On suppose qu’un château-fort existait jadis sur cet emplacement inexpugnable. La nouvelle, probablement transportée à Verviers, nous amène de cette ville des milliers de curieux. Je vous télégraphierai demain, à la reprise des travaux, s’il y a de nouveaux détails ».

D’autres faits marquants attirèrent l’attention du public vers la même époque[2]. Il nous cependant faire retour à cet opéra-comique d’Annette et Lubin dont il a été question au début à propos des secours apportés par des âmes sensibles aux deux « intéressants villageois ». L’ouvrage nous rapproche du moment où le nom du jeune homme s’imprima au catalogue du Val-Saint-Lambert. Il était, pour le texte, dû à Justine Favart, épouse du célèbre auteur et directeur de l’Opéra-Comique de Paris, et à l’abbé Voisenon. La musique était d’Adolphe Benoit Blaise : elle fut notamment jouée à Liège, à la salle de la Société Libre d’Émulation, le 30 décembre 1887. La représentation de l’opéra-comique fit davantage date quand elle fut donnée en 1901 dans le cadre d’une importante fête organisée par la Société verviétoise de la Protection de l’Enfance (La Meuse, 17 juillet et 6 août 1901). Cette Société avait « pour but de créer une pouponnière destinée à recueillir les enfants abandonnés de 6 mois à 2 ans ».

La manifestation commença le 3 août 1901 par une série d’activités, où se remarque une revue qui rappelait, à l’instar du fameux « Livre d’or » d’Antoine Fontaine, « les principaux personnages de Spa ». Un aspect mis en évidence était constitué de la réception solennelle de la reine Marie-Henriette, épouse de Léopold II. On sait que le souvenir de celle-ci se conserve à Spa par la Villa royale, un des Musées de la Ville d’Eaux, où elle mourut en 1902. La notice consacrée à l’institution clôt la référence à la reine par ces mots : « Nous ne l’oublions pas ! ». L’oubli caractérise en effet cette personnalité, si on considère divers articles que lui ont récemment consacrés les médias : « Marie-Henriette, une reine méconnue[3] » ;  « Marie-Henriette, la reine délaissée[4] » ;  « Marie-Henriette, la reine oubliée de Belgique[5] ».  Tout ceci invite à envisager le contexte dans lequel s’inscrit la visite royale de 1901, en dehors des circonstances qui lient l’épisode à la popularité des pauvres Annette et Lubin.

La reine honora de sa présence les cérémonies mais sans son mari. On en comprend aisément les raisons à la lecture du portrait qu’en trace Gita Deneckere dans Les turbulences de la Belle Époque[6]. « La popularisation et la massification des médias rapprochèrent du peuple les grands du monde, quel qu’ils soient, ce qui ne fut pas sans conséquences problématiques pour la réputation de Léopold II. Depuis 1895, la reine Marie-Henriette vivait en effet presque en permanence dans sa bien-aimée ville de Spa, séparée de son mari. Elle ne venait à Bruxelles qu’occasionnellement, pour un concert ou un opéra, spectacles dont elle raffolait depuis toujours. Marie-Henriette était une femme excentrique qui élevait un lama dans son jardin et avait deux perroquets pour lui tenir compagnie. La conduite ouvertement immorale et légère de Léopold II ne plaisait pas au peuple. En témoignent les moqueries et les injures dont il était la cible, comme « Saligaud II », ou roi « Cléopold », un jeu de mots construit à partir du nom d’une chanteuse d’opéra, Cléo de Mérode, avec qui on le soupçonnait (à tort) d’avoir une relation adultère. Les troubles liés au Congo allaient donc de pair avec les scandales provoqués par la vie sentimentale du roi, et l’on peut se demander ce qui, à l’époque, indigna le plus l’opinion publique. Lorsque la reine mourut en 1902, le roi était en cure dans les Pyrénées avec sa très jeune maîtresse, une prostituée de luxe parisienne nommée Blanche Delacroix, alias la baronne de Vaughan ».

Le journal Le peuple du mois d’août prend ici le relai en évoquant les circonstances de la présence de la reine aux festivités. À Ostende devait avoir lieu l’inauguration de la statue de Léopold Ier. Décidée à inviter Marie-Henriette, la municipalité en avait fait part au roi qui se serait écrié : « Oh ! cela ne me regarde pas. Faites comme vous voudrez » (Le peuple, 16 août 1901). On rapportait aussi une autre anecdote, pour l’occasion. « La reine avait besoin des écuries du roi pour y loger ses chevaux. Mais quand l’autorisation fut demandée au souverain, celui-ci répondit : Ah ! non ! J’en ai besoin. Où mettrais-je mes automobiles ? ». Le journal y ajoutait la relation d’une entrevue entre Léopold II et l’archevêque de Malines. Celui-ci avait été sollicité par Marie-Henriette afin qu’il tâche d’opérer entre les époux un rapprochement, ou du moins pour oser « faire des remontrances à l’infidèle. L’archevêque soupira : « Sire, l’État, la famille, l’exemple, les journaux parlent… ». Le roi sourit : « Vous voulez dire que j’ai été voir des cocottes à Paris ? Eh bien, monsieur le doyen, on a dit la même chose de vous, je ne l’ai pas cru. Faites comme moi ».

Tout ce qui précède éclaire la manière, contrastée, dont La Meuse et Le peuple rendirent compte en 1902 de la mort de la reine (voir illustrations 9-10).

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Illustration 10. – Annonce de la mort de la reine Marie-Henriette dans La Meuse du 20 septembre 1902.

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 Illustration 11. – Extrait de l’annonce de la mort de la reine Marie-Henriette dans Le Peuple du 21 septembre 1902.

 

Il faut poursuivre le récit des fêtes organisées au profit de la Société verviétoise de la Protection de l’Enfance. La journée du 4 août 1901 s’achevai par une « belle fête vénitienne » au lac de Warfaaz. Le lendemain un dîner champêtre à la fontaine de la Géronstère fut suivi, le soir, d’une représentation en plein air d’Annette et Lubin, « comédie en un acte en vers, mêlée d’ariettes et de vaudevilles, par Mme Favart et l’abbé Voisenon ». La Meuse ne manqua pas de faire retour aux grandes heures des premières représentations de l’ouvrage, à Amsterdam ou Copenhague, en rappelant comment Albin Body avait mis à l’honneur en 1872 l’histoire des « deux jeunes bergers légendaires de notre coquette cité[7] ». On se félicitait d’avoir choisi « le site pittoresque de la Géronstère comme décor » et le journal programmait un « retour de cette jolie fête champêtre » en voitures « garnies de lanternes vénitiennes ».

La Meuse du 6 août 1901 rapportait le « grand succès » qu’avait obtenu la représentation d’Annette et Lubin, qui « a merveilleusement réussi ». La chronique ne tarissait pas d’éloges sur la mise en scène. « C’est sur le terre-plein des bals champêtres que le théâtre avait été aménagé avec un goût exquis. Sous les branchages des arbres séculaires de la Géronstère, un portique et des haies de verdure, soutenues par des lances aux bannières blanches fleudelysées, formaient l’enceinte des spectateurs et la scène émergeait d’un parc de fougères et d’arbustes et s’encadrait d’un manteau d’arlequin rustique parsemé de roses, au centre duquel se drapait un rideau rouge frangé de blanc et de vert, les couleurs verviétoises ». L’ensemble était mis en relief par « un brillant éclairage à l’acétylène » qui « donnait à la verdure environnante une légèreté admirable ». « Quand le rideau s’est ouvert sur le décor champêtre, composé d’une cabane et ayant pour fond la forêt réelle, le très-nombreux et très-élégant public qui assistait à cette soirée a été émerveillé et ses applaudissements ont prouvé à M. Renson, l’artiste spadois qui s’était chargé de cette décoration, combien il s’en était acquitté avec goût ». « L’élégance des costumes de l’époque, dont le décor naturel faisait ressortir les couleurs éclatantes », ne contribua pas peu à ce que l’auditoire prenne « grand plaisir à écouter ce dialogue qui rappelait le temps passé » et à entendre « cette musique naïvement charmante de la fin du 18e siècle ».

« Je doute même », ajoute le journaliste de La Meuse, « qu’en 1762 les comédiens italiens du Roi qui interprétèrent cette œuvre pour la première fois à Spa aient eu un succès aussi vif que celui remporté ce soir » par des artistes qui furent « plusieurs fois bissés » et applaudis avec enthousiasme à la fin du spectacle.

Si les festivités spadoises d’août 1901 avaient pu se prévaloir de la traditionnelle attention de la reine, d’autres réjouissance n’avaient pas eu cette faveur, une quinzaine d’années plus tôt.  La Meuse du 2 septembre 1887 relatait sans ambages comment avait été vécue la célébration du centième anniversaire de la guérison de la duchesse d’Orléans par les eaux de la Sauvenière, un des événements les plus marquants de l’histoire de Spa. Isabelle Havelange a raconté en 2016 le salutaire séjour qu’accomplirent à l’été de 1787 le duc Louis-Philippe-Joseph d’Orléans (1746-1793) et la duchesse d’Orléans, accompagnés de leur quatre enfants, à la cité thermale[8]. La duchesse, au départ Marie-Adélaïde de Bourbon, riche héritière, remonte à un bâtard de Louis XIV. Elle voyage en compagnie de l’écrivaine Madame de Genlis, chargée de l’éducation des enfants. La légitimité du futur roi est mise en doute par Victor Hugo qui fait dire au bouffon Triboulet, dans Le roi s’amuse (1832) : « Vos mères aux laquais se sont prostituées ». L’aîné, âgé de quatorze ans, deviendra Louis-Philippe, dernier « roi des Français », de 1830 à 1848. La bâtardise règne.

La Meuse regrette quant à elle que le centenaire de la visite des Orléans « modernes », en 1887, ait été snobé par les autorités. « La Famille royale de Belgique s’étant cru obligée de refuser d’assister à cette espèce de jubilé orléaniste, la ville a remis dans ses cartons les invitations destinées aux membres de la Famille d’Orléans ; dès lors le Comité des fêtes a été forcé de réduire le programme des festivités et de ne donner que des réjouissances où la présence des hôtes illustres que l’on espérait recevoir n’était pas indispensable ». À Spa comme à Verviers, fer de lance des idées progressistes et révolutionnaires en Belgique, le climat social se ressentait des troubles qui agitaient la Wallonie. Des grèves avaient eu lieu dans les bassins miniers au printemps[9]. À la fin du mois de mai était créé le Parti progressiste de Paul Janson, et en été, des sections du Parti ouvrier belge se regroupaient autour d’Alfred Defuisseaux sous l’enseigne du Parti socialiste républicain. Mais le comité des fêtes eût préféré que celles-ci se tiennent à l’écart d’autres considérations. « Dans l’intérêt de notre jolie ville d’eaux, il est regrettable que la politique se soit mêlée à cet anniversaire ; il n’avait rien de commun avec elle ». On a manqué l’occasion de remettre en mémoire « une guérison éclatante qui a augmenté la grande renommée de notre ville d’eaux, la plus ancienne du monde ».

La mise en scène de l’événement fut totalement décevante. Les festivités ont commencé, au théâtre de Spa, « nullement décoré », par « la représentation de l’Aveugle de Spa, un très-vieux lever de rideau qui n’avait d’autre attrait que son titre et l’avantage, si cela en est un, d’être écrit par Mme de Genlis ». « Le lendemain, à la Sauvenière, au lieu de représenter avec les costumes du temps la fête brillante qui y fut donnée, en 1787, (…)  on s’est contenté de redorer les inscriptions placées sur le monument, de repeindre la petite grille qui l’entoure, d’enguirlander quelque peu les arbres de la promenade », etc. « J’oubliais de dire qu’il y avait aussi un dîner en pique-nique, mais c’est là un plaisir que l’on peut se procurer tous les jours à la Sauvenière sans qu’il soit besoin pour cela d’un Comité organisateur ». Notons encore que ces réjouissances, qui s’achevèrent « par une grande fête de nuit au parc de Sept-Heures » et par un feu d’artifice attirèrent « une foule énorme ». « Si le centenaire que l’on fêtait n’a pas été célébré avec tout l’éclat désirable par la ville », néanmoins, des étrangers ont rehaussé cette années la saison spadoise, sans comparaison, il est vrai, avec le « nombre considérable de dames et de seigneurs de tous pays » venus avec les Orléans en 1787. Le journal ne rappelait-il pas, en se référant à nouveau à Albin Body, que ceux-ci étaient accompagnés « d’une suite de 150 personnes, de 20 chevaux et de deux chameaux, dont l’un servait de monture à la duchesse pour se rendre à Annette et Lubin, alors la promenade favorite, tandis que l’autre allait presque chaque jour chercher des provisions à Liège, excitant une vive curiosité parmi la population des villages qu’il traversait ».    

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Illustration 12.

Dès 1832, James Fenimore Cooper s’arrête à Spa au cours d’une excursion vers le Rhin. Le récit de son expérience est reproduit par Arthur Haulot dans un très riche et précieux ouvrage collectif dirigé par Georges Sion[10]. L’auteur américain écrit dans Gleanings in Europe. The Rhine : « La gloire de Spa s’est évanouie ! Il fut un temps où les oisifs, les joyeux et les désoeuvrés se rendaient en foule dans ce village retiré pour intriguer et jouer, sous le prétexte de boire les eaux ; quand se pressaient dans ses salons princes et nobles, même des monarques fréquentaient ses fêtes [en français], et prenaient part à ses festivités. Les habitants industrieux n’épargnent aucun effort, aujourd’hui encore, pour y rendre le séjour plaisant, mais le goût capricieux de l’époque attire le voyageur vers d’autres sources, où les invitent des retraites plus plaisantes ».

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Illustration 13.

Un demi-siècle plus tard, Victor Hugo est plus mordant, dans les Choses vues. Le passage est également cité par Arthur Haulot. « Voici quels sont, en cet an 1847, les plaisirs des baigneurs riches, nobles, élégants, intelligents, spirituels, généreux et distingués de Spa : 1° Emplir un baquet d’eau, y jeter une pièce de vingt sous, appeler un enfant pauvre, et lui dire : Je te donne cette pièce si tu la prends avec les dents. L’enfant plonge sa tête dans l’eau, y étouffe, y étrangle, sort tout mouillé et tout grelottant avec la pièce d’argent dans sa bouche, et l’on rit. C’est charmant. 2° Prendre un porc, lui graisser la queue, et parier à qui la tiendra le plus longtemps dans ses mains, le porc tirant de son côté, le gentilhomme du sien. Dix louis, vingt louis, cent louis. On passe des heures à ces choses. Cependant la vieille Europe s’écroule, les jacqueries germent entre les fentes et les lézardes du vieil ordre social ; demain est sombre, et les riches sont en question dans ce siècle comme les nobles dans le siècle dernier[11]. »  

Dernière citation empruntée à Arthur Haulot. Proudhon écrit de Spa le 11 septembre 1859 : « Tout ce monde équivoque, ce luxe, cet étalage d’or, me scandalise. »

 

[1] Sur ces derniers, voir Muriel Collart et Daniel Droixhe (éd.), Spa, carrefour de l'Europe des Lumières les hôtes de la cité thermale au 18e siècle : actes du colloque organisé par la Société wallonne d'étude du 18e siècle (Spa, 25-26 septembre 2012), Paris, Hermann, 2013 ; Daniel Droixhe, « Actualité d’Annette et Lubin : Spa, Marmontel et Fragonard », https://www.swedhs.org/ebibliotheque/articles/annettelubin.html. Article écrit à l'occasion de l'exposition Fragonard (Paris, Musée Jacquemart-André, 3-10-2007-13-1-2008).

 [2] Le 20 octobre 1890, La Meuse signale qu’un « superbe bolide », « aussi brillant qu’un phare électrique », « a traversé le ciel, se dirigeant de l’Est vers le Nord », laissant derrière lui « une longue trainée semblable à une fusée de feu d’artifice ». « Le bolide se rapprochait vivement de la terre et a semblé tomber dans la montagne d’Annette et Lubin ».

[6] Gita Deneckere, Les turbulences de la Belle Époque. Traduit du néerlandais par Anne-Laure Vignaux, Bruxelles, Le Cri, 2010, p.20.

[7] Albin Body, Annette et Lubin. La légende et l’histoire, Bruxelles, Vanderauwera, 1872.

[8] Louis-Philippe d’Orléans, Charles Gardeur-Lebrun, Journaux de voyage et d’éducation – Spa, été 1787, éd. Isabelle Havelange, Paris, Classiques Garnier, 2016 (préface de Dominique Julia).

[9] Gita Deneckere, Les turbulences de la Belle Époque : 1878-1905, Bruxelles, Le Cri, 2010.

[10] On aménage la traduction fournie par Arthur Haulot, « Spa », dans Regards venus d’ailleurs sur Bruxelles et la Wallonie, sous la direction de Georges Sion, Bruxelles, Éditions Trois Arches, 1980, p. 239-242 ; d’après James Fenimore Cooper, Gleanings in Europe. The Rhine, Historical Introduction by Ernst Redekop and Maurice Geracht, Text Established and Explanatory Notes Prepared by Thomas Philbrick and Maurice Geracht, Albany, State University of New York Press, 1986, p. 110.

[11] Op. cit., p. 242-248.

17 décembre 2021

Le «Malvoisie» et le «Marsala» (1904-1905)

À Claudine Gothot-Mersch, grande lectrice de Flaubert.

On imagine mal que des appellations de verres à vin ne reçoivent pas un nom de ce qu’ils contiennent. Le catalogue de 1904-1905 propose sous les numéros 164 et 165, au premier fascicule, des services « Malvoisie » et « Marsala » (illustrations 1-2). On peut ne pas être oenophile – et même être assez peu amateur de vin – et s’interroger sur le choix de ces deux termes, en s’autorisant une excursion purement commerciale dans la presse du début du vingtième-siècle.

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 Illustration 1. Val-Saint-Lambert. Cristallerie. Catalogue 1904-1905. Dessins des modèles de verres et services. Fascicule I. Liste des services. N° 164.

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 Illustration 2. Val-Saint-Lambert. Cristallerie. Catalogue 1904-1905. Dessins des modèles de verres et services. Fascicule I. Liste des services. N° 165.

Le terme malvoisie désigne un cépage méditerranéen qui tire son nom d’une ville du Péloponnèse où était établi un comptoir commercial vénitien.  Il apparaît à de très nombreuses reprises dans une quinzaine de journaux belges répartis sur l’ensemble du territoire[1]. Il est souvent associé au terme marsala, qui désigne un vin sicilien. C’est notamment le cas, pour la période qui nous intéresse, dans Le Patriote du 18 décembre 1903. Ces deux « vins fins » se détachent parmi ceux que fournissent à « plusieurs Cours » la Maison Florio et C° établie rue de la Madeleine à Bruxelles (illustration 3).

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Illustration 3. Le Soir, 22-10-1903 -3.

La Maison Florio, qui vient donc de recevoir une royale distinction, se distingue particulièrement dans les « Caves de la Maison Delhaize Frères & Cie », à l’enseigne du « Lion », en fournissant le marsala (rubrique « Madère de l’Île », illustration 4).

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Illustration 4. La Réforme, 08-11-1903 -6

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Illustration 5. Détail de l’illustration 4.

La presse enregistre des informations sur les principales Maisons qui fournissaient notamment du marsala dans les provinces. Malvoisie et marsala figurent également côte à côte parmi les fins que propose la Maison Gustave Mersch-Verhaegen établie à Virton, « fondée en 1874 », dans une annonce de L’avenir du Luxembourg pour cette même année 1903 (illustration 6).

 

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Illustration 6. L’Avenir du Luxembourg, 02-01-1903 -3.

Le « malvoisie très vieux » occupe, pour le prix, le sommet des vins d’Espagne et de Portugal, au-dessus du meilleur madère, ou encore du « sec supérieur » et « très vieux malaga », aux « Caves A. Wiser », installées « 6-8 rue de l’Étuve » à Liège (illustration 7)[2].

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Illustration 7. La Meuse, 13-12-1904 -4.

Dans la littérature française, le vin de malvoisie a laissé une première trace chez Flaubert. La sentimentalité et la jalousie envahissantes d’Emma Bovary ne manquent pas d’accabler Rodolphe à un moment où « cet homme si plein de pratique » ne distingue plus chez elle « la dissemblance des sentiments sous la parité des expressions ».[3] Emma l’importune de ses pleurs : « - Oh ! c’est que je t’aime ! reprenait-elle, je t’aime à ne pouvoir me passer de toi, sais-tu bien ? J’ai quelquefois des envies de te revoir où toutes les colères de l’amour me déchirent. Je me demande : Où est-il ? Peut-être il parle à d’autres femmes ? Elles lui sourient, il s’approche… Oh ! non, n’est-ce pas, aucune ne te plaît. IL y en a de plus belles ; mais, moi, je sais mieux aimer ! Je suis ta servante et ta concubine ! Tu es mon roi, mon idole ! tue es bon ! tu es beau ! tu es intelligent ! tu es fort ! ».

Rodolphe se lasse d’avoir « tant de fois entendu dire ces choses » : « le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissait voir à nu l’éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes formes et le même langage ». Pourtant, l’amant s’en accommode. Il fait de leur relation « quelque chose de souple et de corrompu ». « C’était une sorte d’attachement idiot plein d’admiration pour lui, de voluptés pour elle, une béatitude qui l’engourdissait ; et son âme s’enfonçait en cette ivresse et s’y noyait, ratatinée, comme le duc de Clarence dans son tonneau de malvoisie ». Le premier duc de Clarence (1449-1478) avait été condamné à mort pour avoir comploté contre son frère le roi Édouard IV. La chronique rapporte qu’il aurait – selon son désir –subi la noyade dans un tonneau de malvoisie, circonstance qu’explique peut-être sa réputation de grand buveur, colportée dans la population.

Que le vin de malvoisie ait été particulièrement prisé en Angleterre, au moins à cette époque, semble confirmé de manière indirecte par une observation du grand historien Fernand Braudel qui donne par ailleurs une idée de la place qu’occupait cette boisson de luxe chez les Britanniques. Dans son livre La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (1949), Braudel recourt à certaines concordances ou correspondances pour rendre sensible des permanences ou des continuités qui ponctuent le « temps long » à travers des cultures différentes. Ainsi, il fait état, écrit Béranger Boulay, de rapprochements qui « permettent normalement au lecteur de se figurer l'inconnu, par analogie avec le connu, ou du moins ce qui est censé l'être[4] ». « Ils servent à ‘traduire’ le passé ». Braudel donne l’exemple de « ce vin de malvoisie, marchandise de luxe qui joue, dans la société du seizième siècle, le rôle du vin de Porto dans la nôtre » (I, 186). Il fait aussi référence à la pratique et au goût qui le caractérise en Angleterre.

Un goût qui s’étendait aussi, apparemment, au marsala (comme au porto, dont le commerce maritime avec l’Angleterre a considérablement étendu la consommation). Ce point trouve un autre écho chez Flaubert. Au cours du voyage en Orient qu’il accomplit entre 1849 et 1852 en compagnie de Maxime Du Camp, il s’arrête à Athènes en partance pour le Péloponnèse. Il écrit à sa mère le 26 janvier 1851 : « L’autre jour, nous avons eu à côté de nous, à table, une bande de petits élèves de la marine anglais de neuf à quatorze ans, qui venaient tranquillement et comme des hommes se foutre une bosse à l’hôtel. Avec leurs uniformes trop grands pour eux, il n’y avait rien d’amusant et de gentil comme cela. Le plus petit, placé à côté de Maxime, et qui n’était pas plus haut que la table, perdait son long nez dans son assiette. Ces messieurs se portaient des toasts avec un sang-froid de lords. Ils fumaient des cigares et buvaient du Marsala. Ma figure les intriguait beaucoup. Ils me prenaient pour un Turc (ce qui est à peu près général partout). Ils ont dit au maître d’hôtel qu’ils étaient bien fâchés de partir le lendemain, que sans cela ils seraient venus me faire une visite pour causer avec moi ». Flaubert avertit sa mère qu’elle risque de le trouver bien vieilli. « Attends-toi à me retrouver aux trois quarts chauves, avec une mine culottée, beaucoup de barbe et de ventre. Décidément j’enlaidis ; j’en suis affligé[5]. » D’où peut-être son allure d’un Turc.

Huit mois plus tard, de retour, Flaubert commençait à écrire Madame Bovary.

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Illustration 8. Portrait de Flaubert à l’époque du voyage en Orient ? Propriété du libraire parisien Claude Menetret, ce portrait montre Flaubert pourvu d’une assez abondante chevelure noire, alors qu’il se dit, dans la correspondance, « aux trois quarts chauve », Les Amis de Flaubert 10, 1957, p. 64.



[1] KBR : Belgica Press, consulté le 16-12-21.

[2] Théodore Gobert signale que « les vastes magasins Wiser » englobent une vingtaine d’années plus tard une ancienne « taverne de perdition » heureusement disparue (Liège à travers les âges. Les rues de Liège, nouvelle édition du texte original de 1924-1929, augmentée de nombreuses reproductions de documents choisis par Marie-Georges Nicolas, Bruxelles, Éditions Culture et Civilisations, 1976, t. 5, p. 85).

[3] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Bibliothèque électronique du Québec, Collection À tous les vents, vol. 715, version : 2.01. Édition de référence : Paris, Librairie de France, 1929, p. 392-394.

[4] Bérenger Boulay, « L'histoire au risque du hors-temps. Braudel et la Méditerranée (exemplier commenté) », Séminaire Sortir du temps : la littérature au risque du hors-temps, organisé par Henri Garric et Sophie Rabau, 4 juin 2007 - https://www.fabula.org/atelier.php?Histoire_et_analogie.

[5] Gustave Flaubert, Correspondance : année 1851 (Édition Louis Conard), Édition électronique Danielle Girard et Yvan Leclerc, Rouen, 2003.

 

15 décembre 2021

Le « Poniatowsky » (milieu du dix-neuvième siècle)

Au Larousse figure désormais le terme nommage pour désigner la dénomination, la désignation de l’adresse d’un site Internet ». Le terme est aussi employé en « stratégie commerciale » – bref, en marketing – pour désigner les méthodes et techniques de « stratégie de marque » comportant un appel au consommateur. On dit parfois qu’il s’agit alors d’onomastique marketing, ce qu’on propose de traduire par onomastique commerciale.

Ce n’est évidemment pas d’hier que ce type de dénomination occupe la réflexion des concepteurs ou producteurs de biens commerciaux, avant de s’offrir aujourd’hui à une critique historique, culturelle ou idéologique qui en récuse les noms. On sait comment le slogan « Y’a bon Banania » a été condamné et interdit par la cour d’appel de Versailles en 2011 comme véhiculant un stéréotype raciste. On sait aussi comment la marque « Eskimo » a dû changer de nom parce que le terme, qui signifiait littéralement « mangeur de viande crue », était jugé humiliant par les Groenlandais. Aux origines du comparatisme européen, la parenté linguistique effective entre le hongrois et le finlandais s’était heurtée à l’idée que pouvait exister un rapport génétique entre la culture des Magyars et celle de vulgaires « mangeurs de poissons ».

Mais ce ne sont ni l’histoire des langues ni l’actualité des mots qui vont nous occuper ici. L’industrie verrière du Val-Saint-Lambert a donné lieu à de très nombreux catalogues de sa production. Les différents modèles et leur dénomination y prolifèrent de manière étourdissante. Comme le rappelle une reproduction en fac-similé d’un de ceux-ci, certains modèles s’imposèrent dès le milieu du dix-neuvième siècle et pendant longtemps, perpétuant des noms de personnages qui ne devaient plus, avec le temps, rappeler grand-chose de ce qu’ils évoquaient quand ils furent choisis.

Ainsi, le modèle « Poniatowsky » était, selon Martine Lempereur, « né en 1843 » (Les cristalleries du Val-Saint-Lambert. La verrerie usuelle à l’époque de l’art nouveau, 1894-1914, Gembloux, Duculot, 1976, Wallonie, Art et Histoire 34, pp. 18-19). « Repris dans les catalogues de 1847, 1855, 1867, 1878 », il sera encore présent « dans celui de 1904, sans changement » En matière de services, M. Lempereur ajoute : « Seul le Poniatowsky a une forme qui lui est propre ; à cette époque, aucun autre service ne la lui empruntera. Avec certains modèles spéciaux, il fait figure d’exception » (illustrations 1-2).

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 Illustration 1. Val Saint-Lambert. Cristallerie. Catalogue 1904-1905.
Dessins des modèles de verres et services.
Fascicule V. Liste des services. N° 56.

 

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Illustration 2. Val Saint-Lambert. Trois exemplaires du modèle « Poniatowsky ».
De gauche à droite : 143 mm, diam. 85 mm – 122 mm, diam. 72 mm – 144 mm, diam. 78 mm.
Cliché Alice Piette. Coll. privée. – Acquisition Art & Antiques Galerie St.-John B.V. (Gand)

D’où peut venir le nom de « Poniatowsky » imposé à un modèle de verrerie ? Deux hypothèses, fournies par la presse, se présentent. La première est suggérée par une information parue dans le Journal de Bruxelles du 10 octobre 1843. On y apprend, parmi diverses nouvelles qui concernent les chemins de fer, en particulier les convois d’honneur appelés à relier la Belgique et l’Allemagne, que « M. le comte Poniatowski, après avoir séjourné quelque temps à Bruxelles, en est parti hier pour l’Allemagne » (p. 2 ; on conserve à partir d’ici l’orthographe usuelle du nom de la famille)[1]. Il ne peut guère s’agir que de Joseph Poniatowski (1816-1873), fils naturel du frère du dernier roi de Pologne, Stanislas II. Ce petit-neveu, « servi par une magnifique voix de ténor », était depuis 1838 un artiste lyrique en vogue[2]. Il avait donné l’année suivante un opéra-bouffe, Don Desiderio, qui avait avec succès fait tout le tour d’Italie. Il venait de donner en 1842 un autre opéra où il traitait le Ruy-Blas de Victor Hugo, mais qui n’avait pas connu le même accueil. Était-ce ce jeune et noble talent que saluait le Journal de Bruxelles et qui inspirait l’appellation du modèle créé par la cristallerie liégeoise ? Si c’est possible, c’est néanmoins peu vraisemblable, car la renommée du comte semble alors un peu limitée à la péninsule.

 

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Illustration 3. Joseph Poniatowski par Nadar (vers 1860).
Photographie positive sur papier albuminé, d'après négatif sur verre.
GALLICA.jpg, Domaine public.

Un autre Poniatowski dominait la presse belge. Le prince Joseph-Antoine Poniatowski (1763-1813) appartenait aussi, comme neveu, la maison de l’ancien roi de Pologne. Il s’était illustré lors des guerres napoléoniennes à la tête d’un corps polonais de la Grande Armée. Sa participation à la bataille de Leipzig en 1813 fut l’occasion d’un coup d’éclat et d’une cruelle épreuve. Le Journal de Bruxelles du 19 août 1841 et Le Belge du 26 août les racontent d’après la relation d’un de ses officiers, Roman Sołtyk, qui venait de donner, en 1841, une Relation des opérations de l’armée aux ordres du Prince Joseph Poniatowski pendant la campagne de 1809 contre les Autrichiens. Les journaux reproduisaient longuement les faits d’armes de Poniatowski au cours de la « bataille des Nations ». Ainsi, ils rapportaient comment, alors qu’il avait été chargé par Napoléon de la défense de Leipzig, promu maréchal, il ne disposait que de « 20,000 hommes, dont 2,500 Polonais », contre un ennemi « de près de 300,000 hommes ». Il prit la tête d’un « faible escadron de cuirassiers polonais » – leur témérité est légendaire – « et, le sabre au poing, il se précipita sur une colonne d’infanterie prussienne, l’enfonça et la mit en déroute… ». Sur le sublime et le « désespoir sauvage » des Polonais à l’époque des guerres napoléoniennes, on verra Les cendres de Stefan Zeromski (1902-1904).

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 Illustration 4. Napoléon et Joseph Poniatowski à la bataille de Leipzig (1813) par Janvier Sucholdowski.
Domaine public.

Un épisode avait plus particulièrement frappé les esprits. « Refoulés vers la Pleiss, entourés d’ennemis, Poniatowski et son état-major étaient exposés au feu des tirailleurs. Il n’y avait plus de temps à perdre ; le prince, qui attendait une mort glorieuse, allait tomber au pouvoir des alliés. Dans cette extrémité, Joseph se décida enfin à traverser la rivière à la nage. Les eaux étaient hautes, et son cheval fut emporté par le courant ; mais le dévouement d’un officier d’état-major, le capitaine Bléchamp, lui sauva encore la vie ». Tentative renouvelée lorsque Poniatowski essaya de traverser une autre rivière, l’Elster, qui le séparait encore du gros de l’armée. « Frappé d’une balle au côté », mais refusant de se rendre, il s’y noya. Le souvenir de sa mort était resté vivace. Dans son numéro du 1er octobre 1840, L’organe des Flandres rappelait, à propos d’un autre général de Napoléon, Étienne Macdonald, que celui-ci avait également, lors de la bataille de Leipzig, entrepris de passer à la nage l’Elster « où périt Poniatowski ».

 

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Illustration 5. Mort de Józef Poniatowski à la bataille de Leipzig par Janvier Sucholdowski.
Le maréchal s’apprête à s’élancer à cheval dans l’Elster.

 

Ce souvenir s’inscrit dans un contexte : celui de la mémoire attachée en Belgique à la figure de Napoléon. Les témoignages dans la presse en sont multiples. Qu’il suffise déjà de rappeler les visites à la Malmaison de l’écrivaine Sophie Gay, amie de Pauline Bonaparte depuis leur séjour à Spa. Le récit, ému et émerveillé, figure dans le Journal de Bruxelles du 19 octobre 1842. La Bibliographie liégeoise de Xavier de Theux scande les rappels de l’épopée impériale.Ici, c’est Édouard Grisard qui chante en 1840 un Épisode napoléonien par des Souvenirs de 1814 et 1815[3]. Là, c’est Jean-Georges Modave qui célèbre en 1841 la Translation des cendres de Napoléon dans l’Hôtel des Invalides à Paris. Le même événement fait l’objet, l’année précédente, d’une ode en latin intitulée Funus Napoleonis Lutetiae emeritorum militum templo illatum de Jean-Dominique Fuss, professeur à l’université de Liège, œuvre parue dans la Revue belge[4].

 

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Illustration 6. Édouard Grisard, Épisode napoléonien.
Ouvrage conservé à la DePaul University Library (Chicago).

 

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Illustration 7. Marionnette de Napoléon (vingtième siècle).
Musée des Arts de la marionnette (Tournai). Provenance : région de Liège, Jupille (Marcel Slangen)

 

Sans doute « l’épopée sans panache du vieux soldat de l’Empire » avait-elle fait l’objet d’une « évocation sans amertume » dans Li pantalon trawé de Charles Duvivier de Streel en 1838, ainsi que l’écrit Maurice Piron[5]. La chanson wallonne dépeint cependant dans les termes les plus crus la condition du grognard devenu côporål qui traversait le pays pour aller sur Paris sans avoir ine dimèye gôte à beûre, « une demi-goûte à boire ».

Vis sov’nez-v’ bin, Lînå, m’ chér camèråde,

Vous souvenez-vous, Léonard, mon cher camarade,

dè fameûs tins dè grand Napolèyon,

du fameux temps du grand Napoléon,

qui nos riv’nîs tot stoûrdis dè l’ salåde

quand nous revenions tout étourdis de la raclée

qui lès Côsaques nos d’nît à côps d’ canon ?

que nous donnaient les Cosaques à coups de canons ?

N’s-avîs dè monde tos lès pious, totes lès bièsses,

Nous avions tous les poux, toutes les bêtes du monde,

n’s-avîs l’ narène èt lès deûts èdjalés ;

nous avions le nez et les doigts gelés ;

èt nos-avîs d’vins co traze èt traze plèces

et nous avions encore à treize et treize endroits

nosse pantalon, nosse pantalon trawé.

notre pantalon, notre pantalon troué.

 

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Illustration 8. Val Saint-Lambert. Modèle « Prince de Galles ». 105 mm.
Coll. privée. – Acquisition Art & Antiques Galerie St.-John B.V. (Gand).

L’histoire de Poniatowski ramenait aussi vers ces temps héroïques. Elle pouvait toucher les artisans du Val-Saint-Lambert. Le nom conservait quelque chose de l’époque où Liège participait à la grandeur de la France – après l’engagement populaire à la Révolution, et dans l’attente de celle de 1848[6].

De façon plus générale, la référence à des personnages historiques ou de l’aristocratie pour désigner des produits de luxe est courante. Le modèle Poniatowski voisine dans les plus anciens catalogues du Val-Saint-Lambert avec ceux portant les noms de Metternich ou de Lalaing, dont la maison donna des personnalités attachées aux plus hautes fonctions des Pays-Bas autrichiens et à l’armée française, comme le général Charles Eugène de Lalaing d’Audenarde, qui s’illustra également aux batailles d’Austerlitz ou d’Iéna et dont le nom figure sur l’Arc de Triomphe. Les modèles « Prince Napoléon », « Coblence », « Prince Albert », « Prince de Galles », « Talleyrand », « Coupe Rodolphe », etc. mériteraient aussi un examen[7].

 

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Illustration 9. Val Saint-Lambert. Modèle « Prince de Galles ». 105 mm. Coll. privée, cliché Alice Piette.
 Acquisition Art & Antiques Galerie St.-John B.V. (Gand).

 



[1] On conserve à partir d’ici l’orthographe usuelle du nom de la famille.

[2] Félix Clément, Les musiciens célèbres depuis le seizième siècle jusqu’à nos jours, Paris, Hachette, 1868, p. 629-633.

[3] Daniel Droixhe, Lettres de Liège. Littérature dialectale, histoire et politique (1630-1860), Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique/Le Cri, 2011, pp. 83-84 - https://www.arllfb.be/publications/essais/lettresdeliege.html ; Xavier de Theux de Montjardin, Bibliographie liégeoise. Deuxième édition, augmentée, Nieuwkoop, De Graaf, 1973.

[4] Voir Christophe Bertiau, Le latin entre tradition et modernité. Jean-Dominique Fuss (1782-1860) et son époque, Hildesheim, Georg Olms Verlag, 2020, p. 384.

[5] Maurice Piron, Anthologie de la littérature dialectale de Wallonie (Poètes et prosateurs), Liège, Pierre Mardaga, 1979, pp. 112-115.

[6] Daniel Droixhe, « Liège-Paris 1848. Littérature, féminisme et Révolution », Bulletin de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique 81/1-2, 2003, pp. 41-49. - http://hdl.handle.net/2268/952 ; http://www.arllfb.be.

[7] Communication Muriel Collart (Université Libre de Bruxelles). Nous remercions Madame Isabelle Verhoeven (Université de Liège), Conservatrice du Département du Verre, Grand Curtius, Liège, pour l’aide apportée à notre recherche.

14 décembre 2021

Assiette chantournée : quand s'effacent les vocabulaires techniques

On sait que Thomas Corneille, frère cadet du dramaturge, dut rédiger un Dictionnaire des arts et des sciences, paru en 1694, pour compléter la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, lequel avait négligé de prendre en compte les termes scientifiques ou artistiques et les vocabulaires professionnels[1]. On sait aussi quel fut l’agacement de Furetière en constatant l’impardonnable lacune et comment il intégra ces lexiques dans son propre Dictionnaire – dans le contexte d’une irrémédiable rupture avec l’Académie.

Les termes de métiers sont soumis à la même évolution qui caractérise ces derniers. Ils peuvent s’effacer des usages comme tombent dans l’oubli les techniques qu’ils traduisent. On propose ici, dans les limites d’un « Impromptu », le cas d’un tel effacement.

L’ouvrage de Jean Lemaire sur La porcelaine de Tournai. Histoire d’une manufacture (1750-1891) (Tournai, La Renaissance du Livre, 1999) emploie à plusieurs reprises l’expression de « forme chantournée » et « à côtes » ou « à côtes torses » pour désigner un type d’assiette de style rocaille fabriquée du milieu du dix-septième siècle au dix-neuvième siècle. Ainsi, la reproduction de la page 87 représente une « assiette polychrome décorée de fleurs chatironnées » – c’est-à-dire dont les contours sont accentués d’un trait noir – dans une « forme à l’osier, c’est-à-dire chantournée, à côtés torses et vannerie » (ill. 1).

 

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 Illustration 1

L’ouvrage explique par ailleurs que cette forme « est constituée de quatre groupes de quatre godrons ou côtés qui s’alternent sur l’aile de l’assiette ». L’aile est définie, au Glossaire, comme le « bord horizontal d’une assiette ou d’un plat », tandis que le marli est le « bord intérieur d’une assiette séparant l’aile du fond ».

C’est de la même manière qu’est présentée une assiette du dix-huitième siècle produite à Clermont-Ferrand. Une « assiette à aile chantournée » montre « sur l’aile une guirlande de broderie » (ill. 2 ; https://www.aguttes.com/lot/14115/2552107).

 

Illustration 2

Illustration 2

Cependant, le terme d’ailé est parfois omis et la description emploie chantourné pour caractériser de manière plus générale l’ensemble de la pièce. C’est le cas pour cette « assiette chantournée à côtes torses » en porcelaine de Tournai, partie d’un service ayant appartenu au dernier prince-évêque de Liège, Antoine de Méan (ill. 3 ; https://www.auction.fr/_fr/lot/tournai-assiette-chantournee-a-cotes-torses-en-porcelaine-tendre-a-decor-d-un-8951673).

 

Illustration 3

Illustration 3

Dans d’autres cas, l’emploi de chantourné consiste surtout à désigner l’objet par ses bords, différents de ceux que dessinent des assiettes à bords simplement arrondis. Cet autre type est ici représenté par assiette tournaisienne « à la petite brindille de Chantilly », où « l’aile », spécifie le catalogue des Antiquités Christiaens, « est limitée par un filet bleu et ornée de quatre brindilles feuillues et fleuries »  (ill. 4 ; (https://www.porcelaine-de-tournai.com/produit/assiette-en-porcelaine-de-tournai-a-la-petite-brindille-de-chantilly/).

 

Illustration 4

Illustration 4. Collection privée

Le site Ortolang du CNRS et de l’ATILF qualifie chantourner de terme d’architecture et le définit par « évider, découper différentes matières et spécialement le bois, suivant un contour donné ». Par métaphore, Huysmans écrit dans À rebours que des Esseintes connaissait un homme « dont l’âme fut assez chantournée pour comprendre Mallarmé et aimer Verlaine ». Le Larousse souligne le rapport à la menuiserie en définissant le terme par « découper une pièce de bois, de métal, etc., selon des profils complexes, généralement en courbes et contre-courbes (caractéristique des productions du style rocaille) ». Le Trésor de la langue française informatisé accentue encore le rapport au mobilier en donnant les exemples de « bois chantourné en console ; table à pieds chantournés » et en empruntant à Marguerite Yourcenar, dans les Souvenirs pieux, cette citation : « Arthur et Mathilde l’avaient abondamment garni d’un mobilier moderne, paravents de palissandre et meubles d’ébène exagérément chantournés ». Bref, ces références donnent le sentiment de ne jamais s’appliquer à de la vaisselle et particulièrement à l’aire des assiettes.

Ortolang suggère comme étymologie un rapport à chantourner « sinuer comme un ruisseau », chez Cotgrave en 1611. Le terme apparaîtrait en 1694 appliqué à la menuiserie chez Corneille. Il serait « composé de chant et de tourner ». Autant dire que l’explication est elle-même assez sinueuse.

Un aspect plus saisissable de l’histoire du mot concerne son actualité. On constate qu’il est de plus en plus concurrencé, dans le lexique de la céramique, par contourné, qui se réfère plus clairement et simplement aux bords des assiettes – à leur contour. Ici, on met en vente aux enchères une « assiette à bord contourné en porcelaine tendre à côtes torses et motifs de vannerie », de Tournai (ill. 5 ; https://www.auction.fr/_fr/lot/tournai-assiette-a-bord-contourne-en-porcelaine-tendre-a-cotes-torses-et-motifs-13678713).

 

Illustration 5

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Une autre pièce, de Nevers, de l’époque révolutionnaire, se présente comme une « assiette à bord contourné en faïence polychrome » au centre de laquelle figure « un coq sur un canon avec drapeau et inscription je veille pour la nation » (ill. 6 ; https://www.pescheteau-badin.com/lot/78473/6321337?npp=20&).

 

Illustration 6

Illustration 6

Même le Louvre emploie le terme contourné pour ce « plateau ovale à bord contourné » de la Manufacture de Sèvres, de 1773 (ill. 7 ; https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010106134).

 

Illustration 7

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On a évoqué au début l’effacement des anciens termes de métier. Je me rends à mon Brico pour acheter une chignolle. Les employés me regardent d’un air dubitatif. Aucun ne sait de quoi il s’agit. Je revois pourtant le petit outil à percer le bois, qu’utilisait mon grand-père. L’un d’eux s’exclame : « Ah ! une vrille ! » Je lis dans Ortolan que le mot désignait aussi une manivelle et qu’il est dans ce sens chez Céline : « L’éclusier bouffi crache trois fois sa chique, tombe la veste, ramone et râle sur la chignolle… »



[1] Sautebin, Gilbert, Thomas Corneille grammairien, Berne, Stæmpfli & Cie, 1897, p. 105-106.

 

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